Colloque "La Syrie omeyyade: un contexte pour le Coran?"

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Colloque
2 4 June 2021
9h 17h
Salle de Conférences MISHA

colloque interdisciplinaire international :
Umayyad Syria, A Context for the Qur’an?
La Syrie omeyyade,
un contexte pour le Coran ?

2-3-2 June 2021, University of Strasbourg (France)

 


Composante porteuse : UMR7044 Archimède (Université de Strasbourg)
Co-organisatrices :
- Mme Anne-Sylvie Boisliveau (MCF Histoire des mondes musulmans, Université de Strasbourg,
UMR7044 Archimède) ;
- Mme Mathilde Boudier (docteur Histoire de l’Islam médiéval et ATER, Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée).


Ce colloque universitaire de juin 2021, rassemblant historiens et spécialistes du Coran,
donnera lieu à des vidéos/audios gratuites en ligne (toutes les communications du colloque
accompagnées de vidéos de vulgarisation).


À la jonction des études coraniques et de l’histoire, ce programme questionne l’évolution du
texte coranique au début de l’islam en lien avec des temps et lieux concrets : la région centrale
de Syrie-Palestine lors de la période formatrice omeyyade (661-750).


1. Sur le plan de l’histoire politique, aux alentours de la mort de Mahomet vers 632, les
armées muhammadiennes provenant du Hedjaz conquièrent la région de Palestine (à partir
de 630) puis la région syrienne (années 630, avec notamment la bataille du Yarmouk, victoire
décisive sur les troupes byzantines qui étaient alors maîtres de la région) et s’y établissent peu
à peu, poursuivant leurs conquêtes vers l’Iraq (fin des années 630) et vers l’Égypte (années
640). Vers 660, suite à une crise politique au coeur du pouvoir (la « première fitna »), le
Mecquois Mu‘âwiya, gouverneur arabo-musulman de Syrie depuis plusieurs années, prend les
rênes de l’ensemble de l’empire naissant, et fait de Damas, capitale syrienne, la capitale de
l’empire arabo-musulman à la place de Médine. Commence alors la dynastie omeyyade (661-
750) qui gouverne depuis la Syrie l’ensemble de l’empire, lequel s’étend très rapidement sur
un vaste territoire d’est en ouest (de l’Indus et la Transoxiane à l’est, à l’Atlantique, Maroc,
Espagne et sud du royaume franc à l’ouest). Cette dynastie connaît une crise importante au
milieu de son histoire, la « deuxième fitna ou guerre civile » (env. 680-692) lorsqu’au milieu
de multiples révoltes, un concurrent prétend ravir le titre de calife (Ibn al-Zubayr) à partir du
Hedjaz et menace fortement le pouvoir omeyyade. Celui-ci finit par se rétablir avec le calife
‘Abd al-Malik (règne 685-705) sous lequel l’Etat se renforce et l’empire connaît une certaine
stabilisation et son heure de gloire.
A cette même période, le mouvement religieux initial, dont on peine à cerner les contours
exacts en l’absence de sources fiables et de documents de la pratique, continue à se
développer. D’un mouvement muhammadien de « croyants » (mu’minûn, (Donner 2010), qui
peut également signifier « affidés », « ceux qui se prêtent mutuellement confiance » (De
Prémare 2002), croyants qui s’auto-décrivent comme « les Migrants » (al-muhâjirûn, « ceux
qui ont fait l’hégire (hijra) », ce dernier terme désignant un évènement ayant eu lieu en 622
et à partir duquel est établi leur calendrier), le mouvement devient sous le calife ‘Abd al-Malik
une véritable religion autonome, de culture biblique, s’affirmant face aux religions juives et
chrétiennes présentes dans la région, comme le montre la construction du Dôme du Rocher
achevée en 691-692 par ce même calife.
Qu’en est-il du Coran lors de ce premier siècle de l’islam ? Là encore, peu de sources si ce
n’est des sources composées tardivement, et peu de documents de la pratique ; quelques
manuscrits anciens sont parvenus jusqu’à nous et sont l’objet d’une attention très forte,
parfois polémique, mais laissent démunis les chercheurs quant à leur datation exacte (Puin,
Déroche, Hilali, Sadeghi). En effet, la datation au carbone 14 n’est pas assez précise pour
établir s’ils datent de la vie de Mahomet (env. 570-632), d’une période ultérieure s’étendant
jusqu’à la fin du VIIe s. (donc le règne de ‘Abd al-Malik), ou même d’une période antérieure à
la vie du Prophète. La question de l’histoire de la canonisation du Coran (sa fixation en un
texte reconnu par les autorités et par les courants majoritaires de l’islam comme faisant
autorité) est parallèlement polémique et documentée de manière diverse. En résumé, la
version traditionnelle sunnite qui est devenue majoritaire fait remonter le texte à Mahomet
et sa fixation à ‘Uthmân vers les années 650. Mais la recherche historique a de multiples
raisons (à commencer par des versions traditionnelles divergentes) de douter de cette
explication, proche du topos littéraire, visant à unifier pouvoir politique califal et garantie de
l’authenticité du texte, vu comme révélé et préservé miraculeusement par Dieu lors de sa
transmission. La question des variantes de lecture du texte coranique (qirâ’ât) et de leur
propre canonisation est également au centre de la problématique, la langue arabe se notant
encore, au premier siècle de l’islam, au moyen d’une écriture défective – avec un alphabet ne
notant pas les voyelles brèves notamment. Ces éléments et tant d’autres rendent difficiles
l’appréciation exacte non seulement du processus historique de canonisation du texte, en
aval, mais bien plus encore, du processus de composition (rédaction, corrections etc.) du
texte coranique lui-même, en amont. Ce champ d’étude est en pleine ébullition en France
comme dans les pays anglo-saxons ou germanique, et une étape importante vient d’être
marquée par la publication de l’ouvrage collectif Le Coran des historiens en novembre 2019
(Amir-Moezzi, Dye). Dans cet ouvrage comme dans d’autres, l’enquête sur l’histoire de la
canonisation se focalise sur le règne du calife ‘Abd al-Malik et de son puissant gouverneur
d’Iraq, al-Hajjâj, les sources faisant état des modifications (au minimum, orthographiques)
apportées par ce dernier au texte coranique. Ajoutons que la province iraqienne à cette
époque, lieu d’exercice du pouvoir d’al-Hajjâj, méritera également un regard en tant que foyer
d’un bouillonnement politico-religieux tant en ce qui concerne le développement d’une
orthodoxie sunnite que celle de multiples hétérodoxies qui ont leurs propres visions de
l’établissement d’une vulgate coranique. Leur opposition entre directement en résonance
avec le siège califal installé en Syrie, qui renforce son pouvoir dans tout l’empire.

2. Ainsi, historiens et islamologues d’aujourd’hui ont de grandes difficultés à établir avec
précision l’histoire commune des débuts de l’empire arabo-musulman, des débuts de l’islam
en tant que mouvement religieux, et de l’histoire de la composition et de la canonisation du
texte coranique. Les trois domaines sont liés d’une manière fort complexe – qui plus est, non
dénuée de polémique, les données traditionnelles issues de la tradition religieuse islamique
ne s’accordant pas toujours (ou pas souvent, notamment en ce qui concerne l’anté-islam
(Hawting 1999), la vie de Mahomet et des premiers « califes ») avec les productions de la
recherche historique.
=> Que propose alors le colloque interdisciplinaire ? Sans espérer répondre « en un tour de
magie » aux questionnements qui entourent la composition du Coran et les premiers
développements de la religion islamique en devenir, ni élaborer une version simplifiée de
l’histoire qui résoudrait miraculeusement les interrogations, il entend modestement faire
avancer la recherche sur cette question générale en imposant aux spécialistes, historiens et
coranologues notamment, un espace-temps circonscrit, constitué par la Syrie-Palestine
(potentiellement légèrement élargi à l’Iraq) à l’époque omeyyade, avec en point d’orgue le
règne du califat de ‘Abd al-Malik (685-705) : ces spécialistes viendront exposer leurs
approches, leurs interrogations, leurs hypothèse, lors d’un colloque international ouvert au
public, puis vulgarisé par des vidéos/audios en ligne.
Ce resserrement espace-temps permettra de faire le point sur ce qu’on l’on sait de ces
questions sans se perdre dans l’immensité d’une question en soi fort complexe. En faisant
intervenir ensemble de grands spécialistes de l’histoire de la Syrie omeyyade et des
islamologues historiens spécialistes du texte coranique, il permettra de faire se rencontrer des
chercheurs qui, étant donné la complexité et l’ampleur de leur propre sous-domaine, ne se
rencontrent habituellement que peu. Plus précisément, dans une logique interdisciplinaire,
sont invités :
1) des historiens de la Syrie-Palestine omeyyade, à qui s’ajoutent les spécialistes du monde
syriaque à la même époque – monde qui recouvre la part la plus importante de la Syrie et une
partie de la Mésopotamie à la veille de l’islam et lors des débuts de celui-ci ; en filigrane se
pose la question du lien entre le Coran et des textes de tradition chrétienne syriaque,
davantage dans le sens d’une « manière d’écrire » commune (Neuenkirchen 2019) que
d’emprunts (Lüling 1974, Luxenberg 2000) ; des spécialistes de la Syrie proto-byzantine sont
également conviés.
2) des coranologues historiens/philologues,
3) des codicologues du domaine concernés (qu’ils travaillent sur des manuscrits coraniques
ou des manuscrits chrétiens ou juifs), épigraphistes en lien avec l’archéologie.
Le but poursuivi par le colloque est alors double :
A) faire avancer la recherche interdisciplinaire elle-même, en permettant à des scientifiques
de se retrouver lors d’un colloque afin de prendre connaissance des derniers développements
de leurs travaux, et d’échanger entre eux, devant un public et des étudiants, afin de faire
avancer la discussion sur le sujet complexe de l’histoire de la composition et canonisation du
Coran dans le cadre précis de la Syrie-Palestine omeyyade ;
B) permettre au grand public intéressé d’accéder aux dernières connaissances sur ce sujet, en
écoutant les conférences (sur place ou en vidéo disponibles gratuitement en ligne).
Le domaine de recherche concerné étant en plein développement, l’initiative constituée par
ce projet n’est pas seule dans le domaine ces dernières années. Du côté des publications, on
trouve bien sûr l’évènement extrêmement important représenté par l’achèvement du Coran
des Historiens en 2019, et toutes ses répercussions (émissions radio, vidéos), mais aussi
d’autres ouvrages comme ceux de Stephen Shoemaker, ou encore des soutenances de thèses
telle celle de Paul Neuenkirchen (EPHE, 2019). Du côté des conférences, la suite de
conférences coorganisée par Mehdi Azaiez, Iyas Hassan et Anne-Sylvie Boisliveau, en 2019-
2020 constitue également un effort de développement et de dissémination de la recherche
sur le Coran des débuts de l’islam. C’est d’ailleurs cette réalisation qui a inspiré la forme de
l’actuel projet, mais en resserrant les conférences sur un seul temps et lieu (colloque) afin de
stimuler la recherche interdisciplinaire.